Emmanuelle LÉON
Professeure à l’ESCP Europe
Andersen Consulting, aujourd’hui devenu Accenture, a initié le sujet, il y a maintenant plusieurs années, avec des bureaux fonctionnant comme des chambres d’hôtel. Le sujet a été très largement débattu et a cristallisé des émotions. Aujourd’hui c’est presque la norme !
Les organisations sont de plus en plus complexes et, dans le même temps, confrontées au développement exponentiel des technologies. On digère à peine le numérique que l’intelligence artificielle arrive posant nombre de questions sur le travail. Les outils, de plus en plus performants, génèrent une surcharge informationnelle conséquente. Les temps de concentration se réduisent à 5 ou 6 mn, les interruptions sont très fréquentes et l’intelligence artificielle va encore complexifier la donne.
Des situations très différentes se côtoient au sein des espaces de travail : nomadisme, équipes virtuelles, à distance, co-working, télétravail encore peu développé dans l’hexagone. La France s’inscrivant dans un mode de représentation où le travail c’est du temps passé dans un lieu : « si j’échappe au lieu, j’échappe à la discipline et à mon management ». Passer au management par objectifs est une piste mais ce n’est pas si simple, le travail ne se résumant pas à la fixation d’objectifs. De plus, le numérique n’abolit pas la distance. Plus on est prêt plus on se parle et plus on s’écrit, plus on est loin et moins on communique. Poser la question du bureau revient donc à poser celle de la proximité : dès 20 mètres, la perte d’informations augmente.
Le bureau est un concept relativement récent. Il s’inscrivait dans un mode d’organisation où l’on pensait l’usine par une unité de temps, de lieu et d’action.
L’espace ne suscitait jusqu’alors que peu de réflexions en dehors de la réduction du nombre de mètres carrés. Lors de la mise en place d’espaces ouverts deux besoins fondamentaux ont été oubliés : la concentration (le casque est devenu la porte visible du bureau) et la possibilité de s’isoler. Chacun a besoin d’une certaine intimité à savoir communiquer sans être entendu et aussi de privatisation visuelle. L’espace de travail traduit un attachement à l’organisation et un symbole. Certaines entreprises telles qu’Apple et Google préfèrent rassembler leurs équipes estimant que la créativité se développe en équipe. Elles proposent des prestations et des espaces qui s’apparentent aux espaces personnels. Les bureaux sont une manière d’attirer et de retenir des gens qui potentiellement ne seraient pas venus. Le bureau représente aussi un statut. En Allemagne, le nombre de fenêtres des bureaux des professeurs est prévu par les textes. Retirer un bureau au manager, c’est lui retirer quelque chose qui sacralise son statut.
Pourquoi vient-on au bureau ? Ce n’est pas pour faire la même chose que chez soi !Les salariés viennent pour récupérer des informations dont ils ne peuvent pas disposer à distance, développer des savoirs et des interactions sociales.
Ces évolutions ont trois impacts pour la fonction RH :
- Remise en question des unités de temps et d’action pour tous les métiers et toutes les activités. Ce qui pose des questions d’engagement, de management, de gestion des savoirs et de knowledge management.
- Évolution des compétences et disparition des métiers : Nombre de métiers se transforment à très grande vitesse générant des difficultés de formation des collaborateurs.
- Développement d’une économie du partage avec les plates formes-numériques.
85% des salariés, selon une enquête réalisée par Galupp, seraient désengagés. La question clé qui se pose est donc bien celle de l’engagement. Les collaborateurs les plus engagés étant ceux qui choisissent l’endroit où ils veulent travailler en fonction de la tâche à réaliser. L’espace de travail a des impacts sur l’engagement, le turn-over, la santé. Cette question est bien au cœur des préoccupations des DRH.
Quand le bureau rencontre l’usager : création d’un accueil commun pluri-compétent
Anthony GIUNTA
Directeur général des services, La Courneuve
Mécano, ancien site industriel, connaît une deuxième vie suite à sa reconversion en médiathèque et en pôle administratif malgré une double contrainte portant sur la conception et sur l’organisation des espaces. Il s’agissait de mutualiser les espaces et les missions des agents afin de faire tomber les murs entre les agents et les usagers mais aussi entre les agents et les politiques publiques. La ville de La Courneuve a défini trois objectifs : un accueil commun malgré des cultures et des compétences différentes, le développement de l’e-administration et la co-production avec les usagers.
Dès le démarrage du projet, une réflexion partagée a été engagée avec les agents, acteurs à part entière du changement. Des bureaux sur mesure ont ainsi été conçus avec eux. Un panel de formations leur a permis de monter en compé-tences sur des sujets tels que les politiques publiques, le fonction-nement des équipements ou en-core l’anglais, la ville de La Cour-neuve comptant 116 nationalités. Malgré un accompagnement soutenu, la mise en œuvre s’est avérée difficile pour les agents en raison de la surcharge cognitive, de la nécessité de mieux appré-hender les politiques publiques et d’utiliser de nouveaux logi-ciels. En réaction, ils ont déclen-ché une grève d’un an, une heure par jour.
Le bâtiment est beau et confortable, plusieurs prix d’architecture ont été décernés. L’usager est accueilli à un guichet de pré-accueil, véritable plaque tournante d’un accueil mutualisé, susceptible de lui fournir le maximum d’informations. Quarante tâches couvrant la majorité des prestations ont été mutualisées : logement, état-civil, action sociale, périscolaire, à l’exception notamment du funéraire. Une gestion numérique des files d’attente est mise en place.
Comme en témoignent les éléments chiffrés, les résultats sont probants. Le temps d’attente général est passé de 22 à 8 mn, l’action sociale de 3 à 9mn, l’état-civil de 15 à 23mn, 5 mn pour la délivrance d’un passeport et 2 pour la Régie.
Avec le recul Anthony Giunta estime qu’il ne faut pas trop spécialiser les compétences et de bien positionner le curseur : une trop forte spécialisation enferme, une trop forte mutualisation dilue.
De nouveaux espaces pour de nouvelles relations agents et usagers
Alice DESPREZ
Directrice culture, animation et patrimoine, Brest Métropole
L’installation de la médiathèque sur le plateau des Capucins a représenté un triple enjeu pour la collectivité : respect de la mémoire brestoise au regard de ceux qui ont travaillé dans les ateliers navals, capacité à gérer un espace singulier et donner un nouveau sens à ce lieu. La nouvelle médiathèque est un lieu intégré : livres, CD, jeux vidéo et de société, salles de travail informatiques, ludothèque, espaces de simulation virtuelle, jeux. Elle a été ouverte à moyens quasi constants malgré une surface quatre fois plus grande qu’auparavant.
Le premier défi a donc été celui de l’automatisation qui s’est traduit d’une part par la responsabilisation et d’autre part par la délégation de tâches à faible valeur ajoutée aux usagers, comme l’automatisation du prêt et du retour. Un robot trieur trie et réaffecte les livres rapportés par les usagers. Les bibliothécaires ont été repositionnés sur leur cœur de métier tel que l’accompagnement des publics en difficulté.La collectivité a fait le choix d’une médiathèque bruyante où on assume le bruit et où « onenferme le silence ». Les salles de travail sont en accès libre ou sur réservation. Le flux est important avec plus de 36 000 abonnés, soit un taux de pénétration de 22 % alors qu’il est de 10 au niveau national. La médiathèque est ouverte du mardi au dimanche, de mi-septembre à fin juin de 14h à 18h, soit trois dimanches par an. Dix agents sont mobilisés et dix étudiants viennent en renfort. Bien que l’ouverture le dimanche n’ait pas suscité de débats de fond avec les agents, un mouvement social a néanmoins porté, dès l’ouverture, sur les effectifs et les compétences. La structure a fonctionné de manière expérimentale pendant un an, période à l’issue de laquelle quatre animateurs ont été recrutés sur des fonctions de médiation. Brest a fait le pari de faire venir les adolescents et ils sont venus ! L’équipe n’étant pas préparée à les gérer, des formations à l’accueil des publics et des groupes ont été mises en place.
Le site diversifie ses activités avec l’installation d’une antenne de pôle emploi et une autre de l’office du tourisme. Il accueille également des publics qui ne vont pas dans les autres espaces de service public. A terme, la question d’un accueil généralisé est envisagée.